Chapitre 9
La grande fête cannibale

Réfugiés au plus profond d'une jungle impénétrable, Indiens et Africains échappés à l'esclavage se sont reconstitués une vie d'hommes libres. À la condition de rester vigilants, discrets et prêts à repousser les attaques des soldats espagnols qui viendraient pour les reprendre. Au fil des années, leur nombre a grossi. Ils ont acquis un sentiment de force et de sécurité. Ce sont eux les maîtres de la jungle.
Cette nuit, une grande fête bat son plein dans leur village. On a fait s'asseoir le capitaine Monbars sur un petit siège au milieu de la place, mettant à ses pieds des contenants de vin de cassave. Toutes les femmes du village viennent danser autour de lui en répétant les mots «Tamon, Tamon, Tamon...». Lorsqu'elles s'éloignent, les garçons et les filles

 

viennent à leur tour en faire autant. Ensuite, ce sont les hommes qui approchent, tantôt courbés, tantôt sautant en des faux-semblants de frapper Monbars qui, lui, ne bronche pas. Et tout le village d'éclater de rire, ce qui contribue à convaincre le vaniteux Capitaine que ce rituel a pour objet de saluer son courage.

Assis parmi les chefs indiens et africains qui ont la tête parée de guirlandes faites de plumes de perroquets toutes d'une couleur, et qui portent aussi bien des bracelets d'osselets aux poignets, à la ceinture qu'aux jambes, ni Philippe, ni les jeunes, ne comprennent la raison de cette fête à laquelle ils n'arrivent pas à prendre plaisir. Ne serait-ce parce qu'Anne Dieu-le-Veut fait observer à Hélène que plusieurs Indiens portent glissées dans leurs pagnes des flûtes taillées dans des os qui pourraient bien être humains.